LE MOULIN BERTRAND

La levée du moulin Bertrand est située sur le terroir de Cavillargues, un peu en aval de la ferme de la Gasconnière. La martelière réglant l'arrivée d'eau de la Brive est encore en place ; le béal d'une longueur de 500 m. permettait de disposer à l'autre bout d'une hauteur de chute d'environ 5 m, nécessaire au fonctionnement de la turbine horizontale d'une puissance de 16 chevaux. Le moulin quant à lui est bien situé dans le terroir de Saint-Pons, au quartier des Justices, même s'il est appelé parfois "Moulin du seigneur du Pin" ou "Grand moulin du Pin". Dans les années 1970, il était encore utilisé par son propriétaire pour faire la mouture destinée à nourrir les animaux domestiques.

Le chapitre qui lui est consacré par Monsieur Marcel Paris dans son ouvrage sur les moulins de Tave, est particulièrement riche et se passe de commentaires. Les lignes qui suivent y font obligatoirement de larges emprunts.

Un acte d'arrentement du 26 septembre 1583 indique qu'il est à cette époque la propriété d'Antoine Arènes de Saint-Pons-la-Calm. Solidement implantée dans la région, la famille Arène (Arènes, Aresne) constitue une véritable dynastie de meuniers : le moulin Martinel à la Bastide d'Engras est arrenté à un Jean Arène avant 1569 ; le 28 septembre 1581, Antoine, Jean et autres Arène associès ("pariers en affaires "') louent à Antoine Arène leur moulin de Gournier " assis " sur la rivière de Tave (1), en 1646 Guillaume d'Astier de Saint-Quentin-La-Poterie loue à Lionel Arène son moulin de Pougnadoresse connu aujourd'hui encore sous le nom de " moulin d'Arène ". à la fin du XVIIe Dominique d'Arènes, seigneur de Ribas, est propriétaire d'un moulin "bladier, à foulon et gruadou "…Un siècle plus tard, cette même famille, qui entre temps a quitté la farine et pris la particule, est encore attachée à Saint-Pons. Antoine d'Arène de Ribas, quand il meurt en 1740, est désigné comme le principal habitant du village (2).

Pour en revenir à son ancêtre Jean ; le compoix de 1619, lui attribue " à la Justice, ung moulin abled et huile, jardin et vigne… ", nommé " le moulin neuf ", et imposé 24 sols. En 1639 il entre en conflit pour une question d'eau, comme presque toujours lorsqu'il s'agit de moulin, avec les consuls Durand Bonnaud et Jean Pellouzet de Cavillargues. Ayant sollicité, sans doute après coup, " la faculté de pouvoir prendre l'eau dans la rivière dudit Cavillargues pour la conduire à un moulin qu'il a assis au terroir dudit Saint-Pons ", il se heurte à de solides difficultés. Finalement, moyennant la somme de 12 livres, il est fait droit à sa requête et il est autorisé à "faire passer l'eau pour la conduire dans son moulin dans le terroir de Cavillargues et maintenir son bézal (béal)comme il est, de une canne de largeur".

Le 14 octobre 1640, le même Jean d'Arène et Clément Camproux, ce dernier lui aussi de Saint-Pons, vendent le moulin " pour le prix et somme de 2405 livres " à Louis Guérin, procurateur en la Cour du Sénéchal de Beaucaire et Nîmes, viguier de Saint-Pons "(3).

Au XVIIIe siècle, le moulin est la propriété de la famille d'Entraigues, qui possède la seigneurie du Pin ; il passe en 1783 au baron de Fontarèches, devenu seigneur du Pin par son mariage avec Jeanne d'Entraigues. Les possessions du Pin reviendront par la suite à Gaston d'Entraigues du Pin, issu de la branche cadette, qui mourra en 1900 sans postérité. C'est vers cette époque que le moulin est acquis par M. Bertrand de Saint-Pons, arrière grand-père de M. Paul Bertrand, le propriétaire actuel. Cette famille était au moulin depuis plusieurs décennies: en 1872 Auguste Bertrand en était déjà le fermier (4).

Le moulin Bertrand aujourd'hui, c'est le château de la Belle-au-bois-dormant. Extérieurement les bâtiments forment un ensemble imposant et d'allure paisible ; la cheminée en briques a l'air de s'ennuyer un peu. La cour intérieure dont les murs viennent d'être réhabilités semble résonner encore du bruit des attelages chargés de sacs de grain. Une pierre de réemploi, sertie dans le mur de la cave, rappelle malgré elle que le moulin fut pour un temps la propriété des seigneurs du Pin, dont elle porte la partie supérieure des armoiries (Un écu écartelé, au 1 et 4 de gueules à une tour maçonnée d'argent qui est d'Entraigues, au 2 d'or à un lion de gueules qui est Bruex, au 3 d'azur à trois lévriers d'argent à demi-corps, posés 2 et 1 accompagnés d'un croissant et d'une étoile de même qui est de Micheaux) (5).

Le béal, l'écluse et la chambre de la turbine sont envasés depuis les crues de septembre 2002 ; la turbine elle-même, actuellement inaccessible, devrait pouvoir être remise en état de marche sans difficulté majeure. Au rez-de chaussée se trouve le système d'engrenages qui entraînait les deux tournants situés à l'étage au-dessus. L'une des meules est en parfait état ; l'autre déposée au pied de la potence semble attendre qu'un hypothétique meunier viennent la rhabiller. Une bluterie qui a perdu ses soies dort allongé dans la pièce attenante. Le coffrage en bois de la courroie à godets destinée à remonter la mouture disparaît vers l'étage supérieur. Sous le toit le monte-charge est prêt à hisser les sacs de grain ; un broyeur de graines de luzerne sommeille la gueule béante, un tarare voisine avec la carcasse d'une bluterie. Dans la cour côté sud, la cuve d'un ancien tournant à gruau, taillée dans un seul bloc de pierre, sert de bac à fleurs, les débris d'une ancienne meule tournante s'abandonne au milieu des herbes. Il faut saluer les efforts de M.Bertrand qui a entrepris courageusement la restauration du gros-œuvre du moulin familial. Un jour peut-être la turbine s'élancera à nouveau pour faire chanter les engrenages, gémir les courroies de cuir et tourner les meules dans une bonne odeur de boulange retrouvée…

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1- POLDER (Serge). Les moulins assis sur la rivière de Tave.In Rhodanie N°49 (1994).

2- Archives notariales Jacques Allamand,Cavillargues (cité par M.Paris).

3 - Ibid.

4- AD. 7 S 375 b.

5- D'après l'abbé BOUZIGUE dans sa géographie du Pin (1919), reproduit par M.Marcel Paris in op.cité

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